dimanche 18 novembre 2012

LUCHINI LIT MURRAY ... Théâtre Antoine PARIS *****

« Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous ! » Fabrice Luchini peut déclarer cela à son public de plus en plus fidèle. La raison ? Son talent, indéniablement. Son don de la parole, évidemment. Son esprit pétillant, cela va de soi. Mais les spectateurs viennent aussi pour entendre, parce qu'il les dit divinement, des auteurs. Cette fois-ci, il nous en présente un qui va comme un gant à sa pertinence et à sa sagacité, Philippe Muray. Comme la majorité des personnes dans la salle, je ne connaissais pas cet écrivain décédé en 2006. L'avantage de ce genre de spectacle est de combler cette lacune. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'Anne Muray a demandé à Luchini, pour un soir, de faire entendre l'œuvre de son époux. En lecteur enthousiaste de Muray, il a décidé de prolonger l'aventure. Et comme l'artiste ne ménage jamais sa peine, il y met toute sa passion. Muray est un « phénomène » dans le paysage culturel. Un homme qui dit ce qu'il pense sans tremper sa plume dans l'encre de la bienséance du formatage. Il affirmait se situer « quelque part entre Hegel et Desproges ». Il gratte là où ça demande, la « bouffonnerie irréelle de la nouvelle vie quotidienne ». Le texte sur les « emplois jeunes » est réjouissant, tout comme ceux sur le débat, André Malraux et Louis Jouvet. Dépassant le « c'était mieux avant », il analyse avec un humour féroce le « c'est comme cela maintenant et cela ne va pas s'arranger demain ». Appartenant à cette société, difficile de ne pas se reconnaître dans son poème « Tombeau pour une touriste innocente ». Muray, réac, anarchiste de droite ? Comme si cela pouvait exister… Il serait dommage d'enfermer une pareille réflexion sur notre monde. Pour ne pas isoler cette pensée, Luchini a ajouté du Cioran et du Péguy. Et s'il s'amuse à taquiner le public, c'est par intérêt du genre humain.

Pour Fabrice Luchini lire Philippe Muray à l'ère de l'hyper festif a quelque chose de réjouissant et de très stimulantLa scène est envahie par une horde d’individus hétéroclites et e situations absurdes : des « accompagnateurs petite enfance », Ségolène Royal, un pirate, des « agents d’ambiance », Christine Angot, une jungle, une « intervenante civique », Paulo Coelho, Paris-plage, une touriste blonde… Ces textes bouillonnent, grouillent d’une faune absurde et d’une flore artificielle. Ils révèlent le vide du réel. La perte du sens. Jusque de la moindre broutille. Car Muray est un maître du détail. On pourrait presque dire qu’avec lui, seul le détail compte. Pour lui, « toute entreprise critique véritable commence par la critique de la vie quotidienne ». On prendra comme exemple le poème-pastiche intitulé Tombeau Pour Une Touriste Innocente, qui commence ainsi : « Rien n’est jamais plus beau qu’une touriste blonde, qu’interviewent des télés nippones ou bavaroises, juste avant que sa tête dans la jungle tombe sous la hache d’un pirate aux façons très courtoises ».

« Notre époque ne produit pas que des terreurs innommables, prises d’otages à la chaîne, réchauffement de la planète, massacres de masse, enlèvements, épidémies inconnues, attentats géants, femmes battues, opérations suicide. Elle a aussi inventé le sourire de Ségolène Royal. C’est un spectacle de science-fiction que de le voir flotter en triomphe, les soirs électoraux, chaque fois que la gauche, par la grâce des bien-votants, se trouve rétablie dans sa légitimité transcendantale. On en reste longtemps halluciné, comme Alice devant le sourire en lévitation du Chat de Chester quand le Chat lui-même s’est volatilisé et que seul son sourire demeure suspendu entre les branches d’un arbre. »Il s’agit d’un extrait de Sourire À Visage Humain. Les autres textes sélectionnés par Luchini sont aussi variés et drôles : ils dénoncent la passion des débats organisés pour ne rien dire, le tourisme ou l’infantilisation, le culte de la jeunesse ...

DECOUVRIR Tombeau pour une touriste innocente



DECOUVRIR Emplois-jeunes "Un bataillon d’agents de développement du patrimoine ouvre la marche, suivi presque aussitôt par un peloton d’accompagnateurs de détenus, puis arrivent en rangs serrés les compagnies d’agents de gestion locative, d’agents polyvalents, d’agents d’ambiance, d’adjoints de sécurité, de coordinateurs petite enfance, d’agents d’entretien d’espaces naturels, d’agents de médiation, d’aide éducateurs en temps péri-scolaire, d’agents d’accueil, des victime et j’en passe énormément. Ferme le cortège un petit groupe hilare d’accompagnateurs de personnes dépendantes placées en institution, talonné par des re-découvreurs de l’histoire des villes et des promoteurs des ressources touristiques en direction des pays émergents. Musique. Vers le ciel d’azur s’envolent des ballons, un camion-grue déguisé en sapin de Noël s’élance en grondant, la foule massée des deux côtés de l’avenue applaudit sauvagement, le monde retrouve enfin sa base. Le Patrimoine est rassuré, la Petite Enfance respire. Le Tissu Social en cour de réparation frémit d’aise les réjouissances ne font que commencer. Non non non il ne s’agit pas d’une parade des arts de la rue, il s’agit des nouveaux emplois-jeunes de Martine Aubry, réunis dans un rassemblement imaginaire tel qu’il pourrait se présenter à l’occasion d’une fête géante, une sorte de , je sais pas moi, une sorte d’Halloween à l’échelle nationale, une Love-Parade en plein Paris, une Job-Pride mais oui pourquoi pas ?! Une Job-Pride"

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... tellement vrai ce "sourire à visage humain" ...