jeudi 16 mai 2013

LES NUITS ... Maison des Arts de Créteil ****~

Les 1001 nuits telles que je me les imaginais ...


"Feu d'artifice pour les cinq sens", hommage à "toutes les Shéhérazade" qui luttent au quotidien contre la "barbarie": le nouveau spectacle de danse d'Angelin Preljocaj, inspiré des Mille et une Nuits, a enflammé Aix-en-Provence cette semaine lors de sa création mondiale.

Premier acte de ces "Nuits" créées au Grand théâtre de Provence, dans le cadre de Marseille, capitale européenne de la culture, une scène de hammam: douze femmes, torses nus, un foulard dans les cheveux, ondulent dans la vapeur d'eau, au son de la musique lancinante de Natacha Atlas.

Voyant en Shéhérazade, l'héroïne courageuse de ces contes orientaux, un "prémisse du féminisme", le chorégraphe français de 56 ans explique avoir voulu rendre hommage avec ce ballet à chacune de ces femmes qui comme elle, "par sa culture, son intelligence, son imagination, son verbe, se (dresse) tel un rempart contre la barbarie", citant en exemple la Yéménite Tawakkol Karman, récente prix Nobel de la Paix.

"C'est elle qui fait en sorte d'arrêter ce flot de cruauté, de massacres, que provoque ce roi qui veut se venger d'une tromperie et qui, chaque jour, épouse une femme et la tue au petit matin pour être sûr qu'elle ne le trompe pas", ajoute le danseur, dont la troupe est installée au Pavillon Noir à Aix-en-Provence depuis 2006.

Chacune des danseuses porte quelque chose de Shéhérazade, le "modèle de toutes les femmes méditerranéennes" qui luttent au quotidien contre la violence d'une société machiste. Habillées d'une petite robe rouge moulante et de hauts talons, alignées face au public, elles se déhanchent sur une version revisitée de "it's a man's world" par la musicienne d'origine anglo-égyptienne, en adressant doigts et bras d'honneur au public.

Enchaînant les tableaux, Preljocaj joue avec l'érotisme et les relations soumission/domination, dans des corps-à-corps sensuels, les formes déliées des douze femmes et six hommes magnifiés par les costumes du couturier d'origine tunisienne Azzedine Alaïa.

"Azzedine Alaïa était ravi, ça lui permet de renouer avec des choses qu'il connaît très bien avec son style épuré et radical", se réjouit le chorégraphe, comparant l'art du couturier à de la "calligraphie".

Dans une autre scène, les danseuses fument la chicha, une pratique majoritairement masculine dans les pays musulmans, en soufflant la fumée sur des hommes couchés à terre.

Emblème de la world music, Natacha Atlas, qui reprend également dans le spectacle "You only live twice", un thème de James Bond, représente pour Preljocaj un temps "où on croyait encore que de l'autre, l'étranger, peut venir l'avenir", à l'opposé du monde actuel "qui se referme de plus en plus sur ses propres valeurs, où chacun s'accroche et s'arc-boute sur ses convictions".

Les Milles et une Nuits, "des contes écrits à plusieurs mains, inspirés d'histoires qui viennent d'Inde, de Perse, d'Arabie et jusqu'au Maghreb", formant comme "un arc culturel extrêmement riche autour du pourtour méditerranéen face à Marseille", sont très "inspirants, à la fois mystérieux et sensuel: une sorte de feu d'artifice pour les cinq sens", souligne le quinquagénaire, qui avait déjà réussi en 2008 l'adaptation de "Blanche Neige", un autre conte inscrit dans nos mémoires collectives.


CRITIQUE CATHERINE SCHWAAB
Preljocaj nous présente ici un Orient sensuel, troublant, envoutant, érotique. Les contes y prennent vie sous la forme de chorégraphies flamboyantes, portées par les vingt danseurs professionnels qui composent le ballet permanent. Voici quelques mots de l’artiste concernant son ballet :

« En relation avec Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la culture, qui s’interroge sur la Méditerranée, je souhaite aborder avec l’ensemble de la compagnie, une réflexion autour des Mille et une nuits. […] Il y a dans ces contes des aspects très sensuels, que j’aimerais redéployer dans la danse. […]La question de l’interprétation des textes des Mille et une nuits se pose souvent. On peut en avoir des lectures très diverses. Pour ma part chaque thématique me pousse à développer la danse en tant que concept, c’est-à-dire emmener plus loin soit l’écriture même de la danse, soit l’approche conceptuelle de ce que peut être la danse. Dans le cas de Mille et une nuits ce sera vraisemblablement aller au plus près du mystère d’un Orient rêvé où les corps se feraient signes, comme une calligraphie des affects et des humeurs. »



D’abord, il y a foule sur scène: 12 filles et 6 garçons, chacun très «siglé», c’est à dire avec un style, une plastique, une gestuelle bien à soi. Les décors sont sobres, graphiques, élégants.

Ensuite, les tableaux: véritablement cinématographiques, ils ne jouent pas les clichés orientalistes mais expriment un point de vue moderne sur Shéhérazade: une femme qui jongle avec les libidos masculines mais qui se fait aussi violenter, humilier, mépriser, battre… Preljocaj est un virtuose de la sensualité à vous hérisser les poils, et en même temps il pose un point de vue politique sur ces jeux érotiques. Les danseurs sont follement sexy; les danseuses, irrésistibles.

Et tout cela dans une grâce, une beauté, une virtuosité: qu’il s’agisse des duos amoureux -ou haineux- ou des séquences collectives, à 3 à 4, à 5, 6… Les corps s’entortillent, tourbillonnent, jaillissent en tous sens, pour se rejoindre dans une géométrie parfaite. C’est étourdissant. Il faudrait revoir ce show deux ou trois fois pour tout saisir, et encore!

La musique est signée Natasha Atlas (si, si! la chanteuse anglo-égyptienne née en Belgique) et Samy Bishai (musicien qui a grandi en Egypte), elle joue sur des superpositions, des climats, mêle les sonorités indiennes, persanes et furieusement occidentales, comme «It’s a man’s world» ou la chanson de James Bond, «On ne meurt que deux fois». Génial !

Enfin, les costumes: les robes virevoltantes sont de la haute couture ajustée, cousue sur le corps de chaque danseuse individuellement. Il y a par exemple des robes rouges bordées d’une bande dorée qui chuinte à chaque mouvement: ce sont des clous de laiton! Il y a de vaporeuses jupes indiennes en soie et viscose qui suivent les courbes comme des nuages.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire